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Isis (1677)

Tragédie en musique en 1 prologue et 5 actes.
Livret de Philippe Quinault (ca 1635-1688).
Isis : scandale à la cour du Roi

La création d’Isis en 1677 devant la cour déclenche de vives réactions. L’intrigue met à nouveau en scène un Jupiter volage qui, courtisant la nymphe Io, s’attire l’animosité de sa propre épouse Junon. Le livret entraîne les personnages dans une série de péripéties insolites et fantastiques, qui verront le dieu Pan se fabriquer sa célèbre flûte, Mercure transformer Hiérax, le promis de Io, en oiseau, et Io descendre dans les Enfers.
Le public croit y reconnaître immédiatement une caricature de l’attitude jalouse de Madame de Montespan envers Madame de Ludres, dernière favorite du roi. Les représentations sont suspendues et Quinault est exilé pendant deux ans.
L’histoire retiendra essentiellement ce fait divers, n’octroyant pas à l’œuvre le succès qu’elle aurait mérité. Car Lully ose ici un raffinement suprême : il cisèle à l’extrême la structure musicale des pièces, use de motifs communs, invente des procédés descriptifs – comme les « trembleurs », ces tremblements de froid utilisés plus tard par Purcell, Vivaldi ou Salieri –, démontrant une verve musicale encore jamais utilisée dans la suggestion des sentiments ou des caractères.

François Verdier, Jupiter et Io - ©RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Franck Raux / René-Gabriel Ojéda
Argument

Prologue
Au palais de la Renommée, Neptune proclame la puissance du héros qui va faire triompher la France sur les terres et sur la mer. Apollon, les Muses et les Arts vont le célébrer.


Acte I

L’indifférence de la nymphe Io à son égard fait le désespoir d’Hiérax. Son ami Pirante tente de le consoler, en lui rappelant qu’il jouit du soutien de Junon. Io assure en vain Hiérax de sa constance, mais c’est à sa confidente Mycène qu’elle s’ouvre de ses véritables penchants : elle reçoit quotidiennement des visites de Mercure, entremetteur loquace (« Quand c’est pour Jupiter qu’on change, il n’est pas honteux de changer »), qui lui parle de l’amour de Jupiter. Ce dernier paraît en personne, accompagné des Divinités de la Terre, des Eaux et des Richesses souterraines.


Acte II

Jupiter enlève Io ; ensemble, ils se cachent dans les nuages afin d’échapper à la fureur jalouse de Junon. Io ne peut résister aux avances d’un tel soupirant. Mercure les informe que Junon vient de dépêcher Iris à leur recherche. Il parvient difficilement à détourner l’attention de la messagère en lui contant fleurette. Junon déjoue les artifices de son époux en choisissant Io pour faire partie de sa cour. La belle est reçue aux jardins d’Hébé.

Acte III
À tout hasard, Junon confie Io à la garde d’Argus, dieu aux cent yeux. Celui-ci refuse l’entrée de l’asile même à son frère Hiérax, auquel il révèle l’identité de son rival. Sur l’ordre de Jupiter, Mercure fait jouer pour Argus l’histoire triste de Pan et de Syrinx. Assommé par le spectacle, Argus ferme tous ses yeux, permettant à Io de s’échapper. Hiérax réveille son frère, mais Mercure les touche de son caducée, tuant Argus, et changeant Hiérax en oiseau. Junon rend la vie à Argus, en le transformant en paon, avant d’envoyer la furie d’Erinnis à la poursuite de Io.

Acte IV
Io, toujours pourchassée par Erinnis, est soumise à d’indicibles tourments : le froid parmi les Peuples des climats glacés de Scythie, puis le feu dans les forges de Chalybes et, pour finir, les Parques avec leur suite, la Guerre, les Maladies Violentes et Languissantes, la Famine, l’Incendie et l’Inondation. Elle supplie les Parques de lui accorder la mort, mais seul un verdict clément de Junon peut délivrer la malheureuse.

Acte V
Io tente de se suicider en se jetant dans les flots du Nil, mais Erinnis la sauve des eaux. La nymphe demande alors à Jupiter de la libérer de son amour (« Terminez mes tourments »). Bouleversé par sa souffrance, Jupiter renonce à sa passion, en échange de la grâce de Junon. Io devient une déesse sous le nom d’Isis, pour être vénérée par le peuple d’Égypte.

(Cf. Piotr Kaminski, Mille et un opéras, Fayard, 2003, p. 809-810)

Une œuvre controversée

Isis connut de nombreuses difficultés lors de sa sortie. Une seconde cabale (après celle d’Alceste) se dressa contre Quinault. On accusa ce dernier de faire allusion à la jalousie de Madame de Montespan face à Madame de Ludres, rivale montante dans le cœur du roi. Ainsi, les rôles furent redistribués : Louis XIV (Jupiter), Madame de Ludres (Io) et Madame de Montespan (Junon). Il est manifeste que la maîtresse en titre n’héritait pas du beau rôle dans cette histoire ! On comprend aisément le rôle actif de Madame de Montespan dans la recherche d’un nouveau librettiste pour Lully. La disgrâce du poète dura deux ans. En outre, le public parisien réserva un accueil assez froid à cette œuvre.

L’ouvrage montre pourtant de nombreuses qualités :

« Cet opéra, dit Lecerf de la Viéville, est le plus savant de ceux de Lully et celui pour lequel il a pris une peine infinie, lorsqu’il le fit exécuter à la Cour, le grand nombre d’instruments, touchés par les plus habiles maîtres du temps ne contribua pas peu à faire sentir les beautés de la musique ».

La plainte de Pan, imitant le bruit du vent dans les roseaux et le chœur des Trembleurs sont de sublimes passages, qui justifieront l’attribution du nom d’ « opéra des musiciens » à cette belle œuvre.

 

© sitelully.free.fr

Lélio Orsi, Junon fait garder Io par Argus, Mercure tue Argus ©RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

Les moments-clés de l’œuvre

  • Lamento de Pan « Hélas, hélas, quel bruit ! »
    Acte III (F. Couperin le reprendra dans son Apothéose de Lully)
  • Chœur des trembleurs
    Acte IV (qui inspirera le très célèbre Génie du froid du Roi Arthur de Purcell, mais aussi Les Saisons de Vivaldi)
  • Trio des Parques
    Acte IV (qui servira de modèle à Rameau pour Hippolyte et Aricie)
Rôles

Prologue

  • La Renommée (dessus)
  • deux Tritons (haute-contre et taille)
  • Calliope (dessus)
  • Clio (dessus)
  • Melpomène (dessus)
  • Thalie (dessus)
  • Uranie (haute-contre)
  • Apollon (haute-contre)

 

Tragédie

  • Hiérax, amant de la nymphe Io, frère d’Argus (basse-taille)
  • Pirante, ami de Hiérax (haute-contre)
  • Io/Isis, nymphe, fille du fleuve Inachus, aimée de Jupiter (dessus)
  • Mycène, nymphe, confidente d’Io (dessus)
  • Mercure (haute-contre)
  • Jupiter (basse)
  • Junon (dessus)
  • Iris, confidente de Junon (dessus)
  • Hébé, fille de Junon, déesse de la Jeunesse (dessus)
  • Deux Nymphes (dessus)
  • Argus (basse-taille)
  • Deux Bergers (haute-contre et taille)
  • Pan (basse)
  • Un Syrinx (dessus)
  • La Furie (haute-contre)
  • Deux Conducteurs (taille et basse)
  • Trois Parques (dessus, haute-contre et basse)

 

Chœur à quatre parties / petit chœur à la française / double chœur

© Gallica/BNF
François Verdier, Junon en colère menace Io en présence de Jupiter ©RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot
Jean-Baptiste Lully - © Gallica/BNF
Philippe Quinault - © Gallica/BNF
Lully & Quinault

Ce poète français, né à Paris en 1635, était fils de boulanger. Les ennemis de Quinault et Lully se plaisaient à répéter qu’ils étaient « faits de la même farine ».

La collaboration entre Lully et Quinault semble avoir débuté dès 1660. L’auteur aurait écrit des vers pour diverses mascarades et ballets. Quinault participa, en outre, à l’écriture de Psyché avec Molière et Corneille en 1671, de « l’Eglogue de la Grotte de Versailles » et peut-être même à celle de Bellérophon. Ce qui expliquerait son retour en grâce après le scandale d’Isis. A partir de 1672, Quinault devient en quelque sorte le librettiste officiel en France. Il signa intégralement les livrets de 11 tragédies lyriques de Lully.

Lully et Quinault inventèrent un genre nouveau, qui devait nécessairement se différencier du modèle classique. Une tragédie en musique ne peut raisonnablement être écrite comme une tragédie déclamée.
Tout d’abord, elle doit être plus courte pour laisser place à la musique. Les vers doivent être plus rythmés, plus musicaux. Les mots sont plus courts. L’utilisation systématique de l’alexandrin aurait réduit les possibilités rythmiques et rendu l’œuvre trop monotone. Quinault mêle avec habilité l’alexandrin, le décasyllabe, l’octosyllabe, les vers de 6 pieds, voire des vers impairs. L’opéra demande aussi une certaine variété de situation afin de diversifier les décors et les machines, mais aussi les thèmes décrits par la musique. Ainsi, Quinault aborde des atmosphères étrangères aux tragédies classiques. L’influence de la pastorale et du ballet de Cour se fait sentir avec l’apparition de nymphes, de bergers et d’allégories parmi les personnages. Quinault intègre le merveilleux dans son œuvre. Si Cadmus & Hermione et Alceste comportaient des scènes humoristiques, Quinault abandonna définitivement ce ton léger dans les tragédies suivantes, sous la pression des critiques. L’humour, qui se trouvait chez les italiens Rossi et Cavalli, n’était décidément pas conforme au bon goût français.
Le débat littéraire n’enleva rien à la popularité des oeuvres de Lully et Quinault. La simplicité des mots facilita la mémorisation des airs, que les parisiens fredonnaient dans la rue.

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Partitions, livret et orchestration

Sources anciennes

Partition :

  • Publication des parties séparées (matériel d’orchestre) lors de la création en 1677, à Paris, par Ballard – BnF.
  • Première publication de la partition en 1719, à Paris, par Christophe Ballard – BnF.
  • Partition manuscrite, copiée par Philidor, ca 1700 – BnF.

 

Livret :
Publié l’année de la création (1677): Isis, tragédie en musique ornée d’entrées de ballet, de machines & de changements de Théâtre. Représentée devant sa majesté à Saint-Germain-en-Laye, le cinquième jour de janvier 1766.

 

Édition moderne

  • Lionel Sawkins, édition critique, Olms/Weidmann (Série III : opéras, volume 6), 2014. Cette édition d’Isis vient compléter l’édition monumentale de l’œuvre de Lully.
  • Les Talens Lyriques utilise leur propre édition (partition et matériel), gravée par Nicolas Sceaux à partir de l’édition de Ballard de 1719, qui contient les parties de remplissage.

 

Orchestration
L’orchestre lulliste « à la française » se distribue en cinq parties :

  • dessus instrumentaux (dessus de violon, flûtes, hautbois), parfois divisés
  • hautes-contre de violon
  • tailles de violon
  • quintes de violon
  • basses instrumentales (basses de violon – violoncelle et contrebasse –, basse de luth ou théorbe, clavecin,
    basson)

 

Dans Isis s’ajoutent le couple trompettes/timbales, ainsi qu’une musette.

Pour aller plus loin
  • Philippe Beaussant, Lully ou Le Musicien du Soleil, Paris, Gallimard, 1992.
  • Sylvie Bouissou, Crimes cataclysmes et maléfices dans l’opéra baroque en France, Paris, Minerve, 2011.
    Analyse de la « catastrophe lyrique » dans plusieurs opéras de Quinault et Lully
  • Buford Norman, Quinault, librettiste de Lully, le poète des Grâces, Wavre, Mardaga, 2009.
  • Jean Duron, Regards sur la musique au temps de Louis XIV, Wavre, Mardaga, 2007
  • Sabine Gruffat, « Les dieux de machines dans Isis de Lully et Quinault : fonctions et significations » dans Les Scènes de l’enchantement : Arts du spectacle, théâtralité et conte merveilleux (XVIIe-XIXe siècles), Jean-François Perrin et Martial Poirson éd., Paris, Desjonquères, 2010, p. 260-273.