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Music for a While

Programme dédié à Henry Purcell
Programme détaillé

Henry Purcell (1659-1695)

Orpheus Britannicus (éd. 1698 et 1702)
“If music be the food of love”, Z 379
“Celia has a thousand charms”, Z 609
“O solitude, my sweetest choice”, Z 406

Suite n° 2 en sol mineur, Z 661 (1696)
Prélude
Allemande
Courante
Sarabande

Orpheus Britannicus (éd. 1698 et 1702)
“Bess of Bedlam”, Z 370
“Ah Belinda!” – extrait de Dido and Æneas, Z 626
“Fly swift, ye hours”, Z 369
“I came, I saw and was undone” (The Thraldom), Z 375

Suite n° 7 en ré mineur, Z 668 (1696)
Allemande
Courante
Hornpipe

Orpheus Britannicus (éd. 1698 et 1702)
“From Rosie Bowr’s“ – extrait de Don Quixote, Z 578
“The fatal hour comes on apace“, Z 421
“Sweeter than roses“ – extrait de Pausanius, the Betrayer of his country, Z 585
“Music for a while“ – extrait d’Œdipus, Z 583

Maarten Pepyn (1575-1643), The Ball at the Court, 1604, oil on panel
Orpheus Britannicus

Purcell bénéficie de l’exaltation artistique liée à la Restauration de la monarchie en 1660 sous l’égide de Charles II, suite à la dictature du Protectorat instaurée par Olivier Cromwell (de 1649 à 1659). Il deviendra le compositeur le plus adulé de son temps, à la cour comme à la ville. En témoigne le titre donné aux deux recueils posthumes de ses plus célèbres chansons réunies en anthologie, publiés respectivement en 1698 et 1702 à Londres – grâce à sa veuve Frances – par l’éditeur et ami Henry Playford (1657-c.1707) : Orpheus Britannicus.

Le manuscrit

En frontispice de l’ouvrage trône la gravure de Robert White réalisée à partir du portrait de Henry Purcell « à l’âge de 37 ans » peint par Closterman (1660-1711) en 1695, puis suit le titre, Orpheus Britannicus, A COLLECTION of all The Choicest SONGS for One, Two and Three Voices. Compos’d By Mr. Henry Purcell. Together With such Symphonies for Violins or Flutes, as were by Him design’d for any of them : and A THROUGH-BASS to each Song ; Figur’d for the Organ, Harpsichord, or Theorbe-Lute, annonçant des chansons (airs, duos et trios) avec ou sans symphonie (violons ou flûtes), accompagnées de la basse continue (orgue, clavecin ou luth-théorbe).

Cette publication commémorative rend compte de la glorieuse carrière du compositeur. Frances Purcell rend hommage à Lady Howard, l’épouse du dramaturge Robert Howard (entre autre co-librettiste avec John Dryden de The Indian Queen), qui fit orner la tombe de Purcell d’une somptueuse plaque gravée de l’épitaphe : « Ici repose Henry Purcell, Esq. : qui a quitté cette vie et est parti en cet endroit béni, où seule son harmonie peut être dépassée. » C’est le même type d’hommage que rend Playford dans son avertissement au lecteur : « L’extraordinaire talent de l’auteur dans toutes sortes de musiques est suffisamment connu, mais il fut tout particulièrement admiré pour sa musique vocale, possédant un génie particulier pour exprimer l’énergie des mots anglais, par quoi il éveillait les passions de ses auditeurs. »

La Grande Faucheuse et le mad song

La disparition prématurée de cet Orphée britannique résonne en écho à la prégnance de la mort dès sa plus tendre enfance : mort du père (1664) ; épidémie de peste qui décime la moitié de la ville (1665) ; grand incendie de Londres (1666) ; décès de ses maîtres Henry Cooke (1672), Pelham Humphrey (1674) et Mathews Locke (1677), de Thomas Purcell, son oncle et tuteur (1682), ainsi que de John Hingston, son parrain, conservateur des instruments royaux (1683) ; sans compter nombre de ses enfants.

Frappé de plein fouet, Purcell développe une grande sensibilité, dont on retrouve les accents intimes dans « la dernière chanson mise en musique par Monsieur Purcell, dans sa maladie » : From Rosy bowers (1695). Le song se présente comme une petite cantate à plusieurs sections, alternant style déclamatoire, parfois orné, et style mesuré en rythme de danse. Altisidora, rôle chanté par Miss Laetitia Cross, une adolescente de 14 ans, tente de séduire don Quichotte et montre tous les états qu’éprouve une femme folle de douleur amoureuse et pour qui « le désespoir et la mort auront raison de la douleur fatale » : récit triste, air enjoué, récit mélancolique, air passionné et fantasque, récit-arioso frénétique.

Dans la même veine, Bess of Bedlam se présente telle une cantate miniature, à brèves sections contrastées laissant ainsi paraître la manière italienne, bien qu’on puisse aussi y voir un avatar de l’antimasque des années 1630-1640. Celui-ci favorisait par des changements constants de tempo et d’harmonies le burlesque des personnages – un désordre musical apparent sonnant en écho à la confusion mentale. Ce thème de la folie, hérité du théâtre populaire médiéval, devient récurrent dès Shakespeare (Ophélie dans Hamlet). Très populaire sur la scène du début du xviie siècle, la figure de Tom of Bedlam (Le Roi Lear) trouve son pendant féminin grâce à Purcell, qui fournit un modèle de mad song à ses successeurs.

Son fil d’Ariane

Si l’air de folie sonne comme son chant du cygne, il n’est certes pas l’unique source d’inspiration parmi ses près de deux cents songs sur nombre de sujets : religieux, galants, politiques, humoristiques voire paillards, ou même étonnamment sur la servitude dans The Thraldom, tant à usage domestique que public – les principales sources d’inspiration de l’Orpheus restant la solitude et bien sûr l’amour et ses affres. Dès son plus jeune âge, Purcell montre une prédilection pour la chanson, qu’il cultive tout au long de sa carrière. Plus encore sous Jacques II, où il se met davantage au service de l’amateur, et sous Guillaume d’Orange et Marie II, où il devient le compositeur le plus prolifique et le plus couru du théâtre londonien.

Dès les années 1640, la chanson devient un vecteur culturel populaire et s’ouvre largement à un nouveau public bourgeois. Les songs et les catches emplissent les tavernes, devenues sous la Restauration music house (dont celle de Nicholas Barbon), puis les premiers concerts payants (1680) au sein du célèbre York Building, première salle de concert publique de Londres et d’Europe. Par ailleurs, depuis leur réouverture en 1660, les théâtres, en pleine effervescence, se réapproprient notamment Shakespeare. Cet hommage s’étend au point d’inspirer par exemple If music be the food of love, dont le premier vers est tiré de La Nuit des rois. Purcell laisse trois versions de ce poème hédoniste de l’amour exalté par les chants, dont la dernière montre un style italien généreusement ornementé et particulièrement volubile dans la seconde strophe, plus vive et ternaire.

Le public apprécie les chansons insérées dans les pièces de théâtre, soit pour l’accueil ou les changements de décor soit au cœur du texte dramatique, une tradition développée sous les premiers Stuart et magnifiée par Shakespeare. Durant les six dernières années de sa vie, Purcell apporte ainsi sa contribution à près d’une quarantaine de pièces, dont beaucoup de songs imprimés dans l’Orpheus Britannicus. Outre le From Rosy bowers pour le Don Quixote III de D’Urfey, il écrit Music for a while pour OEdipus de John Dryden et Nataniel Lee ; Celia has a thousand charms pour The Rival Sisters de Robert Gould ; Sweeter than roses pour Pausanius de Richard Norton… Mais c’était sans compter sur ce nouveau genre qu’on appelle « semi-opéra », qui mêle vers blanc et masques tout en musique en fin d’acte, dont Purcell devient le maître absolu de 1690 à 1695, et pour lesquels de nombreux songs demeurés célèbres sont édités séparément. Dans l’Orpheus Britannicus, nous retrouvons aussi l’air Ah Belinda!, construit sur une basse obstinée, tiré de son seul et unique opéra entièrement chanté Dido and Aeneas (1689).

Le jeu des influences

La basse obstinée dite ground bass, si prisée par Purcell, fut introduite en Angleterre par les Italiens, de même que le clavecin pour remplacer le théorbe dans l’accompagne­ment du chant profane. L’ingéniosité de notre Orphée consistait à briser la monotonie engendrée par la répétition du motif à la basse grâce à l’enjambement de la carrure au moyen d’une ligne vocale, libre et fluide. Tel est le cas dans O solitude, où le sentiment mélancolique est néanmoins rendu par la réitération obsédante du même motif de basse, répété vingt-huit fois sans quitter la tonalité de do mineur.

Ces langueurs du song anglais bénéficient également de l’apport des Italiens dans cette nouvelle forme importée qu’est le da capo (A-B-A), tel dans le song incantatoire Music for a while, ou dans la forme cantate en plusieurs sections, tel que dans les mad songs ou encore dans Fly swift, ye hours. Les musiques italiennes circulaient à Londres depuis le début du xviie siècle tant grâce aux voyages des nobles et des musiciens qu’à l’imprimerie ou à l’installation dans des postes officiels de musiciens français et italiens. En 1680, Pietro Reggio publie un recueil de Songs, par lequel il enseignait aux Anglais comment jouer de sa belle voix avec agilité, justesse et souffle : une tessiture couvrant une octave et une quarte, de la technique pour renforcer sa voix dans l’aigu, l’ensemble accompagné par un continuo tout aussi alerte en imitation de la voix. Bien que l’ouvrage fût méprisé par les Anglais, cette esthétique italienne plus virtuose, très prisée par le public, finit par pénétrer la société de la Restauration et de la Glorieuse Révolution. Sous Jacques II, la disgrâce des musiciens protestants favorise l’afflux d’étrangers tels que Vitali ou le castra Giovanni Francesco Grossi, surnommé Siface.

L’Orphée anglais

Les innovations du continent nourrissent la soif de nouveauté qui se conjugue désormais avec le désir de renouer avec la tradition, tel dans The fatal hour comes on apace, qui associe à la sobriété d’un désespoir amoureux des touches subtilement décoratives. Ainsi, les songs de Purcell montrent une richesse sans pareille entre des musiques qui pouvaient très librement passer du style déclamatoire au style plus lyrique, tel dans Celia has a thousand charms, qui fut chanté par le sopraniste Jemmy Bowen alors âgé de 13 ans, des airs strophiques ou à différentes sections, qui jouaient essentiellement sur les contrastes de tempo et de rythmes, ou encore le da capo.

En coloriste, Purcell joue des affects par une rhétorique musicale subtile qui conjugue une musique très expressive à la sonorité de la prosodie et de l’idiome anglais, et au sens profond des mots et du poème. Ainsi, un motif rythmique, un tempo, un ornement ou une longue fioriture, un frottement harmonique, une répétition ou des effets plus recherchés prolongent les images et les émotions suggérées, tel dans le suave Sweeter than roses. Par ailleurs, la basse continue, très riche, participe activement à la dynamique d’ensemble dans un rapport d’étroite complicité avec la voix.

Ainsi, dans la préface de son Dioclésian (1691), peut-on lire l’affirmation des auteurs, Purcell et Dryden : « La Musique et la Poésie ont toujours été considérées comme des sœurs qui marchent main dans la main et se soutiennent mutuellement. […] La Poésie s’élève au-dessus de la Prose et de l’Art oratoire, et la Musique est l’exaltation de la Poésie. Toutes deux peuvent exceller séparément, mais, assurément, elles atteignent la plus grande excellence quand elles sont réunies ; car rien ne manque alors à la perfection de l’une ou de l’autre. »

Purcell et le clavecin

La musique pour clavecin de Purcell est la moins connue de sa production. Elle comporte d’une part les huit suites publiées en 1696 par sa veuve Frances sous le titre A Choice Collection of Lessons for the harpsichord or spinet et, d’autre part, une cinquantaine de pièces issues de recueils collectifs publiés du vivant du compositeur et d’un manuscrit auto­graphe retrouvé en 1993. Ses œuvres sont pour la plupart écrites pour l’apprentissage. En effet, à ses multiples activités, Purcell ajoute celle de professeur, aussi bien à la cour qu’en privé. Surtout sous les règnes de Jacques II, puis de Marie II, il enseigne, notamment à la fille du trompettiste Matthew Shore ou à la jeune Katherine Howard, les instruments à clavier, virginal ou clavecin, participant activement à l’éducation musicale des filles.

Purcell jouait du clavecin et de l’épinette, mais nous ne possédons aucun témoignage de sa virtuosité au clavier. Les deux suites jouées lors de ce concert sont extraites de la publication de sa veuve. Elles agencent une succession de différentes danses, tradi­tionnelles à l’époque : allemande, courante, sarabande, précédée, pour celle en sol mineur, d’un prélude pour se délier les doigts et agrémentée, pour celle en mineur, d’un hornpipe très british (à la place de la sarabande) qui provient de la musique de scène The Married Beau.

Pascale Saint-André
© Cité de la musique – Philharmonie de Paris

Partitions, livret et orchestration

Partitions :

Retrouvez les deux volumes d’Orpheus Britannicus :

  • Volume 1, cliquez ici
  • Volume 2, cliquez ici
Pour aller plus loin
  • Claude Hermann, Henry Purcell, Arles, Actes Sud, 2009.
  • William Christie et Marielle Khoury, Purcell au cœur du baroque, coll. « Découvertes », Paris, Gallimard, rééd. 2009.
  • Gérard Gefen, Histoire de la musique anglaise, Paris, Fayard, 1992.
  • Franklin B Zimmerman, Henry Purcel, An analytical catalogue of his music, MacMillan and Co, 1963.